Avant la réponse

Reaction à la suppression du seuil des 20 000 euros : Le mirage de la simplification

Le
Assouplies à la faveur de la crise, les nouvelles règles des marchés publics étaient censées faciliter et accélérer les commandes publiques afin de soutenir l’emploi privé. Un an après, le bilan est mitigé. Si les acheteurs publics ont nettement réduit leurs délais de paiement aux entreprises, les collectivités territoriales, en revanche, hésitent encore à se saisir des procédures simplifiées. Le poids des habitudes et la crainte d’un retour de bâton judiciaire.

Lancé il y a un peu plus d’un an, le plan de relance de l’économie aurait pu avoir pour sous-titre : “…et d’accélération des procédures”. Mettre sur la table 26 milliards d’euros de soutien à l’investissement public n’aurait eu que peu d’effets dans un pays réputé pour sa lourdeur bureaucratique sans simplification des procédures des marchés publics. C’était en tout cas le sens des propos du président de la République, dans son discours de Douai le 4 décembre 2008, prononcé au plus fort de la crise. “On ne peut pas attendre pour mettre en œuvre les décisions prises pour répondre à l’urgence, avait déclaré Nicolas Sarkozy. Il faut faire en sorte que les règles ne rendent pas la passation des marchés publics trop compliquée, trop longue alors que les événements commandent d’aller vite pour enrayer l’engrenage de la récession.”

Aussitôt dit, aussitôt fait. En 2009, aux trois lois de finances adoptées en un temps record se sont ajoutés trois textes touchant à la commande publique. Examinés le 19 décembre 2008 en Conseil des ministres, deux décrets et une circulaire ont été publiés dès le lendemain au Journal Officiel. Trois textes orientés vers un double objectif : faciliter la commande publique en l’accélérant, et conforter la trésorerie des entreprises pour qu’elles puissent investir.

Moins de formalisme
Dans cet esprit, le seuil des procédures formalisées a été aligné sur les seuils européens et la passation des marchés a été facilitée. L’un des deux décrets a prévu un relèvement, de 4 000 à 20 000 euros, du seuil minimal en dessous duquel le pouvoir adjudicateur peut décider de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence, décret annulé le 11 février par le Conseil d’État. De même, le seuil de 206 000 euros applicable aux marchés de travaux a été supprimé et remplacé par le seuil communautaire de 5,15 millions d’euros, passé à 4,8 millions en janvier 2010. Peuvent désormais être passés selon une procédure adaptée les marchés de travaux n’atteignant pas cette somme.

L’État et ses établissements publics sont encore mieux servis, puisque les commissions d’appel d’offres sont purement et simplement supprimées. Seule la saisine de la commission des marchés publics de l’État (CMPE) est désormais possible – mais facultative – pour tous les marchés de l’État, quel qu’en soit le montant. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, le gouvernement a aussi allégé les processus de décision. Les exécutifs locaux peuvent désormais, par délégation de l’assemblée délibérante, être chargés de prendre toute décision concernant la préparation et la passation des marchés.

Les entreprises, clientes et fournisseurs des administrations, n’ont pas été oubliées. Un décret du 28 avril 2008 avait abaissé à 30 jours le délai global de paiement des marchés de l’État. Les collectivités territoriales seront progressivement tenues de respecter le même délai à partir du 1er juillet prochain. En attendant, le paiement des marchés doit intervenir dans un délai de 40 jours. Autre mesure – temporaire, celle-là –, concernant les entreprises qui était en vigueur jusqu’au 31 décembre dernier : les avances. Les ministères devaient verser une avance de trésorerie de 20 % pour un marché supérieur à 20 000 euros et inférieur à 5 millions d’euros. Mais, au final, cet avantage n’a été que peu utilisé. “Il n’a pas participé à la relance, car il a concerné des projets déjà en cours”, avance même Hervé Huguet, directeur du cabinet Citia.

Surtout, la nouveauté n’en était pas vraiment une. N’importe quel marché pouvait prévoir une avance, même quand elle n’est pas obligatoire. Le code des marchés de 2006 prévoyait déjà la possibilité de porter les avances de 30 à 60 % du montant des marchés. Une mesure que l’on doit à Jérôme Grand d’Esnon, avocat spécialiste des marchés publics chez Carbonnier-Lamaze, qui n’a pu que constater, du temps où il occupait le poste de directeur juridique de Bercy, que “les entreprises ont tendance à ne pas les demander”. Constat qui se répète quatre ans après.

Le ministre de la Relance, tout en se félicitant du “vif succès” du crédit impôt recherche ou de la mensualisation de la TVA, se garde bien de faire l’éloge desdites “avances”. Le Parlement s’en est chargé à sa place. Le sénateur UMP de Seine-Maritime, Charles Revet, n’y est pas allé de main morte en parlant d’un “demi-échec” dans son avis du 19 novembre 2009 sur le projet de loi de finances. Alors qu’un milliard d’euros avaient été budgétés, seuls 450 millions ont été consommés. À la décharge du gouvernement, qui a surestimé les besoins, le sénateur met en avant le fait que “les services du gouvernement ne disposaient pas, début 2009, de tous les renseignements utiles pour définir l’enveloppe des crédits nécessaires au financement de la mesure”.

Heureusement, les acheteurs publics se sont rattrapés sur les délais de paiement. Comme le relève un observatoire dépendant de Bercy dans un rapport rendu public le 7 janvier, “alors que les délais de paiement de l’État étaient supérieurs à 41 jours en 2006, ils s’élèvent aujourd’hui à moins de 20 jours”. Même satisfecit en ce qui concerne les collectivités. Les résultats 2009 montrent une diminution, légère, du délai global de paiement : 34 jours en 2009, contre 35 jours en 2008.

Le “flop” de la simplification
Un bon point qui ne peut masquer le bilan en demi-teinte de la trésorerie des entreprises. La crise frappe dur et les PME en font les frais. Selon l’Observatoire économique de l’achat public, la part des PME dans l’achat public reste proche de la tendance observée sur les cinq années passées. Relance ou pas. Si elles remportent 60 % du nombre total des marchés recensés, en termes de montant, la part des PME est réduite : 40 % pour les collectivités et 21 % pour l’État.

Quelles que soient les bonnes intentions en matière de simplification et d’accélération de la commande publique, la réalité l’emporte. “On ne peut pas tout attendre des marchés publics, rappelle Frédéric Grivot, vice-président de la CGPME. Les collectivités ne peuvent pas non plus tirer sur la ligne budgétaire à l’infini.” Les annonces de réforme de la fiscalité locale sont aussi venues freiner les velléités des collectivités, qui assurent les trois quarts des investissements publics en France. Refroidis à plus d’un titre, les élus locaux semblent peu enclins à tirer parti des règles de simplification. Et même “s’il faut”, selon Jérôme Grand d’Esnon, “attendre avant de voir comment les pratiques vont évoluer à long terme”, d’après plusieurs observateurs de la sphère de l’achat public, il semblerait que les pratiques anciennes demeurent.

Effets pervers
Exemple : alors que la commission d’appel d’offres est supprimée pour de nombreux marchés de travaux, les collectivités continuent de constituer de telles instances. Et n’hésitent pas à mettre en concurrence les entreprises pour des marchés de 4 ou 5 000 euros. Comble du paradoxe, “certaines collectivités vont même jusqu’à se doter de règlements intérieurs plus contraignants !” souligne l’avocat Patrice Cossalter, du cabinet Legitima. Les collectivités ayant peur des procédures adaptées préfèrent finalement passer des marchés avec constitution de commission d’appel d’offres. “Cela permet aux élus et fonctionnaires de se cacher derrière la collégialité”, assure Patrice Cossalter. Par peur du contentieux ? Un peu, sans doute. Mais pour ce juriste, c’est avant tout la “peur du vide” qui explique ce surcroît de précaution. Plus généralement, le changement de règles décidé par le gouvernement se concilie très mal avec les chaînes de décision en cours au sein des administrations. “L’achat public est symptomatique des lourdeurs inhérentes à l’administration, où chacun peine à prendre ses responsabilités”, pointe ainsi Hervé Huguet.

Inutilisées à hauteur des espérances, les mesures de simplification auraient même induit des effets pervers. Les acheteurs publics se lancent dans des achats compulsifs sans prendre le soin de définir précisément leurs besoins. Au risque de se voir proposer des offres inadaptées. Autre effet pervers : une tendance à exiger des prix toujours plus bas de leurs prestataires. Une conséquence directe de l’assouplissement de la procédure des marchés à procédure adaptée (MAPA), qui étend la possibilité de négocier le prix à des marchés de montants plus élevés.

Une tendance observée et dénoncée par la CGPME. Et qui n’est pas sans conséquence : “à force de tirer sur les prix, il ne faut pas s’étonner que les clients ne soient pas servis à hauteur de leurs espérances”, constate doctement Frédéric Grivot. Cela joue autant sur la qualité des matériaux que sur l’appel aux sous-traitants, qui se développe à tout-va. “Les entreprises n’ont aucune chance si elles ne répondent pas en-dessous du prix du marché”, constate Patrice Cossalter. “Les marchés publics, une loterie ?” Ce spécialiste n’est pas loin de le penser.

Article de Xavier Sidaner sur ActeursPublics.com

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